Il paraîtrait que le mâle blanc cis hétéro prend beaucoup de place sur nos écrans. Qu’il est sur-représenté. Et qu’il serait bien de donner la parole à toutes les « minorités » qui n’ont de minorité que le nom (les métisses, les noirs, les asiatiques, les indiens ; les femmes ; les LGBTQIA+ ; les handicapés ; les pauvres ; pardon à tout ceux que j’oublie ou que ma maladresse pourrait blesser).
On sait depuis quelque temps maintenant que nous vivons dans une société à tendance raciste, sexiste, islamophobe, grossophobes, etc (déjà trop de listes dans cette diatribe). Pourtant, la communication sur ces sujets passe la plupart du temps par des hommes blancs, généralement bien intentionnés, qui ont raison de s’insurger de l’état d’une « minorité » de la population. Mais en prenant, eux, la parole, sans laisser la place aux camarades qu’ils défendent, sans les laisser s’exprimer, ils confisquent leurs voix. Et les laissent encore et toujours dans l’ombre et le silence (qui a dit mélodramatique ?). Fort heureusement, le monde prend enfin le temps de se réveiller et de réaliser peu à peu l’existence de ce cercle vicieux. Et on agit : le micro est donné à ces personnes à qui ont coupe sans cesse la parole. La défense de la différence, sous toutes ses formes, est acceptée (presque, on n’est pas encore trop chez les bisounours). Bref, ça bouge, dans les mentalités, les médias, la culture. Et si vous ne m’avez pas encore vu venir avec mes gros sabots : oui, ça change aussi en littérature. Je vous avais déjà vaguement parlé du mouvement Own Voice avec l’excellent Peter Darling (vraiment, lisez le, siouplait, je dis ça suffisamment rarement pour que vous puissiez me croire) (et Coffee Boy, aussi). Ce mouvement qui veut que les écrivain(e)s qui parlent des questions de racisme, de sexisme, d’homophobie, d’islamophobie, soient eux mêmes des noirs, des femmes, des LGBTQIA+, des musulmans. Dans la mesure ou cette mouvance prend de plus en plus d’ampleur, il y a quantité d’auteur(e)s à découvrir dans ce registre, généralement contemporain (mais pas que). La communauté LGBTQIA+ est bien représentée, les femmes voilées sont de plus en plus présente entre les pages, les revendications des noirs font grand bruits (il faut vraiment que je lise The Hate U Give, qui est tellement plébiscité outre-Atlantique). Maintenant, j’en entends déjà dire au fond que ça va bien cinq minutes, ça commence à faire chier les revendications de tout les côtés, #fuckingsocialjusticewarrior. Qu’on pourrait pas nous laisser nous détendre en paix ? Sauf que oui mais non, ces romans ne sont pas là pour attirer l'attention et simplement emmerder le monde. D’abord, et parce qu’on ne le dit pas assez, on peut parfaitement développer des idées, s’enrichir intellectuellement, ou simplement apprendre, tout en se divertissant (j’ai grandit avec C’est Pas Sorcier, t’as vu). Ensuite, parce que l’intérêt didactique des fictions n’est en ce qui me concerne plus à prouver. Et ça a beau être tout con, mais laisser une personne noire s’exprimer sur le racisme qu’elle peut subir, on ne l’entend pas assez dans notre belle société occidentale. Enfin, même si on trouve l’intérêt d’un roman Own Voice comme étant très limité sur le plan de la construction de l’histoire/le développement des personnages/la qualité de l’écriture/etc (ce qui est parfaitement recevable et nuit considérablement à l’intérêt de l’écrit), il aura au moins le mérite de permettre à une « minorité » de s’exprimer, d’exister. De créer une discussion. On peut très bien ne pas être d’accord avec certains points de vues développés, ou ne pas les comprendre. Je ne prétends certainement pas que tous les romans de ce genre soient exempts de défauts, il peuvent très bien défendre certaines communautés pour en descendre d'autres (ce qui n'est pas très recommandable). Mais en lisant les bons récits, on aura tout de même fait un micro pas vers un autre, pour essayer de l’entendre. Et pas toujours ce même autre. Pas toujours ce fameux homme blanc cis hétéro qui devrait parfois apprendre à se taire pour laisser la place à la différence. Ça fait mal de s’entendre invectiver le silence ? Oui. Mais c’est toujours moins pire que de se voir imposer l'anonymat. Je suis donc effectivement en train de m’exciter pour un jeune mouvement littéraire qui n’existe que parce qu’on ne laisse pas assez de place à certains individus pour s’exprimer. Et je suis partagée entre la joie de voir ces auteurs émerger, et la tristesse de savoir que rien que d’écrire sur un personnage homosexuel est un événement en soi (comment ça le gay de service n’est pas que le meilleur ami du héros ?!). Les points de vues commencent enfin à varier, même dans la littérature populaire, et putain, ça fait du bien. Ça paraît probablement secondaire à qui n’en a jamais lu (je plaide toujours coupable, mais ça, c’était avant), mais après quelques pas dans cette littérature, je peux affirmer que si, c’est important. Que ça ouvre l’esprit. Que la qualité de l’écrit peut également être au rendez-vous. Et que ce n’est pas prêt de s’arrêter : rien qu’en littérature, il n’y a pas que les auteurs qui s’engagent, mais les lecteurs également (les sensitivity readers, par exemple). Plein de nouvelles voix qui auparavant étaient muselées, et qui enfin prennent de l’ampleur. Je n’attends plus que le moment où ce ne sera plus quelque chose de remarquable, mais la normalité. Sur ces bonnes paroles agressives et tolérantes, bisous.
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