Une femme, c’est agréable à regarder, n’est-ce pas ? Et puisqu’il faut souffrir pour être belle, les siècles et les cultures ont vu passer de nombreuses façons de sculpter le corps, du blanc de plomb sur la peau au tænia dans l’estomac, les recettes sont nombreuses. Si la plupart de ces pratiques durent au mieux quelques siècles, il y en a une qui a continué pendant un millénaire : celle des pieds bandés, en Chine. La tradition voulait que vers l’âge de 5 ans, les petites filles voyaient leurs pieds bandés : on repliait leurs orteils en dessous de la pointe du pied, et on serrait les bandages au maximum pour entraver le développement du pied. On forçait ensuite les fillettes à marcher sur leurs pieds entravés, jusqu’à la fracture des orteils et du cou-de-pied. L’objectif était d’atteindre la taille idéale de 7 centimètres de long (c’est le moment où on prend tous une règle pour regarder combien ça fait 7 centimètres…et punaise ça fait petit). L’objectif de la pratique était double. D’abord, les petits pieds avait un potentiel érotique dans la culture chinoise, et nombre de femmes en jouaient. Mais aussi, avoir des moignons à la place des pieds rendait la marche compliquée ; les femmes ne pouvaient plus se déplacer sur de longues distances, et donc effectuer la moindre activité physique. Elles étaient entièrement dépendantes des hommes de leur vie, leur père, leur mari, leurs fils. L’histoire de Fleur de Neige commence lorsque deux fillettes se font bander les pieds, au XIXe siècle. Comme le titre ne l’indique pas, le personnage principal de ce roman est Fleur de Lys. Les premières lignes nous apprennent qu’elle a vécu une très longue vie, et elle revient sur le cours de son existence. Deux évènements vont marquer son futur dès la petite enfance. Tout d’abord, Fleur de Lys a des pieds parfaits, qui correctement bandés pourraient atteindre la taille optimale, lui assurant un beau mariage (et une meilleure position sociale, elle qui est fille de paysan). Mais plus important encore, on va lui assigner une laotong, une meilleure amie qui la suivra sa vie durant, qui la soutiendra et l’aimera autant qu’elle la soutiendra et l’aimera. Le choix d’une laotong ne se fait pas en fonction des accointances de chacun, mais en fonction de « signes » (moment de la naissance, nombre de frères et sœurs, etc). Heureusement pour Fleur de Lys, elle s’entendra très bien avec sa laotong, Fleur de Neige. Le récit suit l’existence, pleine de restrictions et de frustrations dues à la condition féminine, de Fleur de Neige et Fleur de Lys.
Entre révolte et famine, la vie en Chine n’était facile pour personne au XIXe siècle, mais particulièrement pour les femmes qui n’avaient que des moyens très limités de prendre leur vie en main. Il leur fallait d’abord obéir à leurs parents, survivre au bandage de leurs pieds, espérer faire un bon mariage, plaire et obéir à sa belle-famille, et surtout, surtout, mettre des fils au monde. Le récit décrit bien les nombreuses périodes de la vie de Fleur de Lys et de sa laotong, il est donc riche d’enseignement sur une culture et une période méconnu en Europe. L’auteure n’a pas voulu donner dans le pathos, ce qui créé une distance entre le lecteur et les personnages, mais évite surtout de tomber dans le larmoyant. Ce qui aurait été très facile. Mais malgré ce côté un peu froid, l’amour et l’amitié entre Fleur de Neige et Fleur de Lys, au centre du récit, permet de vraiment rentrer dans le livre. Les deux femmes ont des caractères relativement opposés (l’une est très terre à terre et dans le raisonnement, tandis que l’autre laisse plus libre cours à ses émotions), et leurs conditions sociales ne sont jamais les mêmes, pourtant, leurs sentiments l’une pour l’autre sont sincères et font plaisir à lire. En plusieurs décennies de relation, elles vont affronter des hauts et bas, commettre de nombreuses erreurs et faire souffrir l’autre, mais jamais le lecteur ne doute vraiment de l’attachement qu’il y a entre les deux femmes. Elles dépendent des hommes, mais la personne la plus importante de leur existence est bien leur laotong. La flamme de leur relation permet aux personnages (comme au lecteur) d’affronter de nombreuses épreuves. Le déferlement de calamités est servi par la plume très simple de Lisa See (que j’applaudis pour la qualité de ces recherches), qui sans figures de styles ou fioritures excessives, fait le job. Le livre fait 300 pages (en format numérique) ; pour retracer une vie, c’est peu, mais l’auteure choisit bien les moments sur lesquels elle s’attarde, sans jamais trop en faire. Fleur de Neige, c’est le récit d’une amitié toute en poésie et sobriété, un petit cours d’histoire et d’humanité. Et ça fait du bien. A lire si : - vous êtes intéressé par la culture chinoise - vous aimez les histoires d’amitié - vous aussi, vous êtes faibles face aux gens qui en parlent beaucoup trop bien
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