Digital Rights Management, ou, les DRM. Ou, également, ma plaie.
Les DRM rentrent dans la longue liste des dispositifs ayant pour objectifs de contrôler l’utilisation et la diffusion des œuvres numériques. Dans le cas du merveilleux monde littéraire, l’éditeur mettant en place ce verrou sur un ouvrage exige de l’acheteur une preuve de son paiement avant de pouvoir disposer de l’écrit. Dans les faits, c’est compliqué. Il existe quantité de distributeurs d’ebooks. Parlons du plus connu, Amazon. Le géant américain est encore plus vicieux que les autres puisqu’il ne se contente pas de poser un verrou sur ses produits, il les vend dans un format qui lui est propre (kindle <3). Si vous ne possédez pas de Kindle d’Amazon, impossible de lire les fichiers achetés via sa plateforme sans procéder à diverses manipulations (Calibre est encore ton ami). Et si au contraire vous en possédez une, n’achetez pas de livres au format epub si vous ne pouvez pas le convertir dans le bon format (Calibre te sauvera la vie). Mais Amazon, c’est particulier. Prenons la FNAC. Eux aussi possèdent leur propre liseuse (la Kobo), mais ont aux moins le mérite de vendre leurs ebooks au format epub. Pourtant, et là ce sont les décisions des éditeurs, ils vendent également des ouvrages qui ont des DRM. Et c’est le cas pour tous les revendeurs de livres numériques. Certaines maisons d’éditions exigent des DRM sur les livres de leurs auteurs, et c’est là que la situation devient pénible pour le lecteur. Car soit celui-ci possède la liseuse adaptée (la Kobo pour FNAC, donc), et peut directement lire en téléchargeant sur sa liseuse. Soit il possède une liseuse au système d’exploitation libre, et doit dans ce cas prouver qu’il a bien acheté son livre à l'entreprise qui pose les DRM (Adobe le plus souvent), puis quelques autres manipulations pour le lire sur tout format (via Calibre, encore et toujours), ou en cassant purement et simplement le DRM (pour les plus à l'aise devant l'ordinateur). Dans les deux cas, l'opération est fastidieuse et rajoute des étapes bien superflues à ce qui devrait être réglé en trois clics (l'achat d'un fichier immatériel ne devrait pas nécessiter plus de temps). Pour achever les acheteurs compulsifs que nous sommes, les verrous posés permettent à Adobe par exemple de nous espionner, à notre insu bien évidemment. C'est beau la technologie. Finalement, les pirates supposément gênés par les DRM n'auront aucun souci à le casser, alors que le lecteur lambda se retrouvera clairement emmerdé par l'ouverture de son fichier, et traqué par les géants de l'industrie. Alors, mettre des DRMs dans le but de protéger les œuvres des auteurs, d’empêcher le vol, cela est fort louable (quoique, mais ceci est un autre débat). Sauf que ça ne fonctionne pas. Parce que rendre l’achat d’ebooks à n’importe quel lecteur ne possédant pas de liseuse corporate incroyablement pénible créé l’effet inverse, et encourage au contraire le téléchargement illégal. Et ce sont alors les éditeurs qui pénalisent les auteurs qui ont déjà bien du mal à se faire une place dans la jungle des librairies. S’il s’agit pour le consommateur de deux minutes de recherche supplémentaire et d’un clic pour avoir le bouquin, par rapport aux dix minutes de conversion pour rester dans la légalité (d’accord, je suis de mauvaise foi, cinq minutes peuvent suffire une fois qu'on a l'habitude), le téléchargement illégal à de beaux jours devant lui. Si on rajoute à ça le prix parfois exorbitant de certains ouvrages (17€ en physique, 15€ en numérique, cherchez l’erreur), je ne m’étonne pas de voir des gens se tourner vers ce procédé. Bref, les DRM, une vraie plaie. Lueur d’espoir toutefois, des acteurs directement impliqués dans le monde numérique saisissent mieux que d’autres les enjeux. Et puis, même la politique s’empare de ce problème. Je continue donc de râler (et surtout ne pas acheter de fichier avec des DRM), jusqu’à ce que ça bouge, enfin. Heureusement, il y en a d'autres qui font de même, et mieux que moi.
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Il paraîtrait que le mâle blanc cis hétéro prend beaucoup de place sur nos écrans. Qu’il est sur-représenté. Et qu’il serait bien de donner la parole à toutes les « minorités » qui n’ont de minorité que le nom (les métisses, les noirs, les asiatiques, les indiens ; les femmes ; les LGBTQIA+ ; les handicapés ; les pauvres ; pardon à tout ceux que j’oublie ou que ma maladresse pourrait blesser).
On sait depuis quelque temps maintenant que nous vivons dans une société à tendance raciste, sexiste, islamophobe, grossophobes, etc (déjà trop de listes dans cette diatribe). Pourtant, la communication sur ces sujets passe la plupart du temps par des hommes blancs, généralement bien intentionnés, qui ont raison de s’insurger de l’état d’une « minorité » de la population. Mais en prenant, eux, la parole, sans laisser la place aux camarades qu’ils défendent, sans les laisser s’exprimer, ils confisquent leurs voix. Et les laissent encore et toujours dans l’ombre et le silence (qui a dit mélodramatique ?). Fort heureusement, le monde prend enfin le temps de se réveiller et de réaliser peu à peu l’existence de ce cercle vicieux. Et on agit : le micro est donné à ces personnes à qui ont coupe sans cesse la parole. La défense de la différence, sous toutes ses formes, est acceptée (presque, on n’est pas encore trop chez les bisounours). Bref, ça bouge, dans les mentalités, les médias, la culture. Et si vous ne m’avez pas encore vu venir avec mes gros sabots : oui, ça change aussi en littérature. Je vous avais déjà vaguement parlé du mouvement Own Voice avec l’excellent Peter Darling (vraiment, lisez le, siouplait, je dis ça suffisamment rarement pour que vous puissiez me croire) (et Coffee Boy, aussi). Ce mouvement qui veut que les écrivain(e)s qui parlent des questions de racisme, de sexisme, d’homophobie, d’islamophobie, soient eux mêmes des noirs, des femmes, des LGBTQIA+, des musulmans. Dans la mesure ou cette mouvance prend de plus en plus d’ampleur, il y a quantité d’auteur(e)s à découvrir dans ce registre, généralement contemporain (mais pas que). La communauté LGBTQIA+ est bien représentée, les femmes voilées sont de plus en plus présente entre les pages, les revendications des noirs font grand bruits (il faut vraiment que je lise The Hate U Give, qui est tellement plébiscité outre-Atlantique). Maintenant, j’en entends déjà dire au fond que ça va bien cinq minutes, ça commence à faire chier les revendications de tout les côtés, #fuckingsocialjusticewarrior. Qu’on pourrait pas nous laisser nous détendre en paix ? Sauf que oui mais non, ces romans ne sont pas là pour attirer l'attention et simplement emmerder le monde. D’abord, et parce qu’on ne le dit pas assez, on peut parfaitement développer des idées, s’enrichir intellectuellement, ou simplement apprendre, tout en se divertissant (j’ai grandit avec C’est Pas Sorcier, t’as vu). Ensuite, parce que l’intérêt didactique des fictions n’est en ce qui me concerne plus à prouver. Et ça a beau être tout con, mais laisser une personne noire s’exprimer sur le racisme qu’elle peut subir, on ne l’entend pas assez dans notre belle société occidentale. Enfin, même si on trouve l’intérêt d’un roman Own Voice comme étant très limité sur le plan de la construction de l’histoire/le développement des personnages/la qualité de l’écriture/etc (ce qui est parfaitement recevable et nuit considérablement à l’intérêt de l’écrit), il aura au moins le mérite de permettre à une « minorité » de s’exprimer, d’exister. De créer une discussion. On peut très bien ne pas être d’accord avec certains points de vues développés, ou ne pas les comprendre. Je ne prétends certainement pas que tous les romans de ce genre soient exempts de défauts, il peuvent très bien défendre certaines communautés pour en descendre d'autres (ce qui n'est pas très recommandable). Mais en lisant les bons récits, on aura tout de même fait un micro pas vers un autre, pour essayer de l’entendre. Et pas toujours ce même autre. Pas toujours ce fameux homme blanc cis hétéro qui devrait parfois apprendre à se taire pour laisser la place à la différence. Ça fait mal de s’entendre invectiver le silence ? Oui. Mais c’est toujours moins pire que de se voir imposer l'anonymat. Je suis donc effectivement en train de m’exciter pour un jeune mouvement littéraire qui n’existe que parce qu’on ne laisse pas assez de place à certains individus pour s’exprimer. Et je suis partagée entre la joie de voir ces auteurs émerger, et la tristesse de savoir que rien que d’écrire sur un personnage homosexuel est un événement en soi (comment ça le gay de service n’est pas que le meilleur ami du héros ?!). Les points de vues commencent enfin à varier, même dans la littérature populaire, et putain, ça fait du bien. Ça paraît probablement secondaire à qui n’en a jamais lu (je plaide toujours coupable, mais ça, c’était avant), mais après quelques pas dans cette littérature, je peux affirmer que si, c’est important. Que ça ouvre l’esprit. Que la qualité de l’écrit peut également être au rendez-vous. Et que ce n’est pas prêt de s’arrêter : rien qu’en littérature, il n’y a pas que les auteurs qui s’engagent, mais les lecteurs également (les sensitivity readers, par exemple). Plein de nouvelles voix qui auparavant étaient muselées, et qui enfin prennent de l’ampleur. Je n’attends plus que le moment où ce ne sera plus quelque chose de remarquable, mais la normalité. Sur ces bonnes paroles agressives et tolérantes, bisous.
Il était une fois, moi qui regarde la bande-annonce de Love Between the Covers.
Il s’agit d’un reportage sur la romance en littérature, genre très féminin qui brasse des milliards chaque année. Autant dire que peu importe le mépris que suscite généralement ces lectures, c’est un genre qui pèse. Beaucoup. Si je n’ai pas vu le documentaire en entier, le commentaire d’une auteure à la trentième seconde de la bande-annonce m’a particulièrement interpellé :
« I believe that it’s in popular fiction that we preserve our culture’s core values. »
Ou, Je crois que c'est dans la fiction populaire que nous préservons les valeurs principales de notre culture.
Autant dire que cette phrase, j’y pensé. Et qu’elle me remplit d’espoir autant qu’elle m’inspire de la méfiance. Parce que oui, peu importe la fiction, qu’elle soit engagée ou non, ses personnages et son histoire véhiculent certaines valeurs. Sa chute peut valoir de morale (particulièrement dans le genre prolifique de la jeunesse). Socialement engagée ou pas, réaliste ou fantastique, contemporaine ou historique, les auteurs transmettent toujours un message, aussi petit soit-il, au travers de leurs écrits. Par l’approbation tacite de certains comportements, ou la condamnation d’autres (au travers de divers moyens narratifs), par la dénonciation de certaines situations ou la présentation de différentes réalités, une belle histoire développe et met sous les feux des projecteurs une culture, des convictions. Lire de la fiction, vu parfois comme unsimple divertissement solitaire, c’est aussi se rapprocher des autres. Cela permet inconsciemment de développer ses intérêts, de reconnaître ce à quoi on accorde de la valeur (ou pas), et est grandement utile une fois quitté le monde des mots. Lire devrait permettre à chacun de devenir meilleur, de repousser, doucement mais sûrement, l’obscurantisme et la bêtise. De préserver une culture tolérante, humaine, éclairée. Je devrais donc être rassurée de savoir que les auteurs de fictions ont conscience de ce pouvoir très particulier qu’ils ont. Le problème, c’est que les convictions développées par l’acte de lire ne sont pas toujours de cet acabit, et dépendent grandement de la fiction que l’on tient. Et c’est là que j’en reviens à la romance (mais pas que), puisqu’en tant que lectrice de ce genre, je suis souvent gênée par le fond de l’histoire que j’y trouve. Je pourrais parler des ces fictions souvent orientées sur une société blanche (et en oubliant totalement ceux qui ne s’y retrouvent pas). Omettant complètement les sexualités autre qu’hétéro (à l’exception du meilleur ami gay ; quasi toujours un homme, et surtout pas trop sur le devant de la scène). Et usant et abusant du sexisme et de la culture du viol pour rajouter de l’histoire sans aucun recul sur leurs effets. Petit aperçu de ce que j’ai lu dans ma dernière romance : «N’oublions pas qu’un garçon de son âge a parfois besoin d’assouvir des pulsions qu’il a du mal à maîtriser ».
Puisque pour être un auteur, il faut être lu (pour ne pas dire vendre), il est probablement plus aisé de ne pas trop bousculer le lecteur, de le maintenir dans un univers et une culture connus et/ou reconnaissables (de manière générale, si on aime bien l’originalité, il est toujours plus délicat de sortir complètement des sentiers battus – il n’y a qu’à voir la "curiosité" avec laquelle est généralement considéré l’art contemporain (je plaide coupable)). Alors oui bien sûr, il y a tellement de livres sur le marché qu’on trouve toujours des exceptions (voire plus que des exceptions), mais ceux là sont rarement mis en valeur. Comme pour le cinéma hollywoodien, pour attirer le plus de consommateurs possible, on propose des schémas et des codes usées jusqu’à la corde. Certains sont positifs, inoffensifs, ou alors au contraire malsains, comme ceux cités plus haut. Comme pour tout le reste, beaucoup de lecteurs intègrent, lecture après lecture, ces codes comme s’ils étaient normaux, réels.
Alors au choix, on l’ignore consciemment ou inconsciemment, ou on prend du recul, on analyse toutes les pages, et on relève tout ces petits détails qui dans le livre sont en désaccord complet avec la réalité. C’est le risque de perdre un certain plaisir de lecture contre le développement de ses idées propres (heureusement, on y gagne un autre plaisir). C’est se battre contre une culture rétrograde que certains conservateurs voudraient voir perdurer. Un peu plus loin dans cette fameuse bande-annonce, une auteure explique peu ou prou que la fiction n’est pas la réalité, que la fiction est un désir, que la fiction est un rêve. Alors oui, dans tous les cas, ce n’est pas la réalité. Mais pour trouver la fiction qui représente un désir sain, un doux rêve, ça demande du temps. Trouver un livre qui délivre des valeurs humaines et actuelles, ça demande des efforts. On ne peux pas rester passif. Pour que notre culture reste en bonne santé, mieux vaut faire attention aux lectures que l’on avale. NB : j'ai ici principalement parlé de la romance parce que j'en lis et surtout parce que c'est un documentaire sur ce genre qui m'a amené à ces réflexions, mais je généralise bien à tout type de fictions :) |
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