Ce n'est pas un secret pour quiconque parle un tant soit peu littérature avec moi, j'aime la saga Rose Morte. Et la sortie imminente du tome 4 me rend plutôt impatiente. Alors pour essayer de passer le temps, j'ai eu l'espoir un peu fou que l'auteure, Céline Landressie, veuille bien répondre à quelques unes des questions que je me pose au sujet de sa saga mais aussi de son rapport à l'écriture et au monde du livre. Et puisque cet article existe, je vais tuer le suspens, elle m'a répondu positivement. Pour ça je la remercie infiniment une nouvelle fois. Je vous livre donc ici ses réponses, sans aucune coupe ni ajout (j'ai même gardé la question où quand j'ai lu sa réponse, je me suis dit que quand même, j'aurais pu deviner toute seule, c'est dire mon abnégation). Que pensez-vous du statut d'auteur en France ? Il n’y pas de « statut » d’auteur. L’auteur n’a que très peu de droits (sarcasme inside) contre une interminable liste de devoirs. De surcroît, aux yeux d’une très large majorité gens, un auteur est un être excentrique, cérébral et peu sociable, exerçant un travail éhontément permissif, qui préfère occuper ses week-end à coucher ses divagations sur le papier plutôt que d’aller en randonnée pédestre avec son chien ou au club d’échec avec son grand-oncle… Pour les 2% de gens restant, l’auteur est trop souvent la matière première exploitée de multiples fois tout au long de la chaîne du livre, qui en général n’a pas son mot à dire et devrait déjà s’estimer content qu’on daigne publier sa prose en lui proposant moins d’un euro par exemplaire vendu. Le « statut » d’auteur ? C’est un mythe. Aujourd’hui, dans ce pays, un auteur ne vaut pas mieux que le « saltimbanque » d’autrefois. Les gens de Lettres sont à peu près aussi nantis que les intermittents du spectacle, dont on connaît les difficultés, puisque les Arts ou les Lettres ne sont pas « des métiers » aux yeux du monde. Ce ne sont des passe-temps, des hobbies, qui n’ont aucune légitimité et pour lequel on n’est pas prêt à débourser un sou. Tout travail mérite salaire ? Oui, à condition qu’on reconnaisse ledit travail. Ce qui n’est pas le cas dans cette activité particulière. Sachant que le « statut » d’auteur est étroitement lié aux difficultés rencontrées par le monde du livre et qu’il est de notoriété publique que les gens lisent de moins en moins, cela n’aide pas beaucoup. Et pour couronner le tout, si vous faites partie des éditeurs et auteurs qui exercent leurs talents dans « le mauvais genre » (comprendre : Science-Fiction, Fantaisie, Fantastique), vous avez là un « combo malus » en termes de difficultés. Niveau dépréciation, exercer dans les genres SFFF en France, ça vaut des points… En résumé, pour avoir un tant soit peu l’impression d’exercer un métier, il faut avoir la chance de travailler avec une maison d’édition qui vous considère et vous respecte en tant que professionnel, qui vous permet d’exprimer votre art et de plus qui ne vous prend pas pour une buse. Ce qui est mon cas désormais, et c’est précieux :) ! Vous êtes édité depuis plusieurs années maintenant, que pensez-vous du numérique ? Je ne crois pas que vos livres soient distribués dans ce format, cela ne vous a jamais tenté ? Tentée, si ^^ Mais un auteur, à moins d’être auto-publié, n’a pas de prise sur la mise en place du format numérique. C’est fonction des projets/volontés des maisons d’édition, qui peuvent proposer ou non l’achat des droits numériques, et mettre en place ou pas ledit format pour les œuvres concernées une fois les droits acquis. Quant à RM, la saga n’existe pas en numérique, en effet. Sauf en version piratée. La partie communication (via facebook notamment) est très différente de l'écriture : cette autre casquette du métier d'auteur qui existe depuis maintenant quelques années n'est-elle pas compliquée à gérer ? Si, très complexe. J’ai d’ailleurs été contrainte de prendre du large avec les réseaux sociaux et les efforts de promotion pendant un peu plus de deux ans, ma santé ne me permettant plus de me disperser. Mais la plupart du temps, les artistes quels qu’ils soient se promeuvent seuls. Cela demande une énergie folle, du temps, des idées - que l’on ne trouve pas toujours - et des moyens - encore moins faciles à dégoter que le reste. Un lourd investissement personnel, dont l’on ne peut pourtant pas se passer, faute de quoi on est tout à fait inexistant dans la masse. Compliqué, oui, c’est le mot. Épuisant aussi ^^’ Je crois savoir que vous avez une idée très précise de l'histoire que vous voulez raconter. A quel point faites vous des concessions auprès de votre éditeur (je pense à l'Homme Sans Nom que vous avez quitté, ou à Milady qui a écrit le mot vampire dans le résumé du troisième tome alors que vous ne l'avez jamais écrit dans votre livre) ? Je ne fais pas de concession sur les textes. Je n’ai pas besoin de le faire car on ne me le demande pas. L’éditeur avec lequel j’ai la chance de travailler actuellement - ainsi que l’éditeur précédent - respecte et apprécie mon projet dans sa globalité ainsi que dans son intégrité, sans rien y changer. C’est heureux, car ma façon de travailler sur la saga ne pourrait souffrir d’ingérence. Je sais où je veux aller et par quels tortueux chemins il me faut passer pour atteindre cette destination précise, en essaimant au passage toutes les subtilités qui doivent l’être. Du reste, ces chemins comportent beaucoup, beaucoup trop de double-langage, de vérités cachées, de contre-vérités, de faux-semblants et de background inconnu de tous sauf de moi pour risquer de bouger un élément de l’édifice. L’approche et la vision que j’ai de ce riche univers sont ainsi faites que rigoureusement tout est interconnecté et a une incidence sur la ligne, paragraphe, chapitre, tome suivant… Vouloir changer quelque chose une fois le livre écrit reviendrait à tout chambouler, par effet de capillarité. Donc, cela signifierait aussi la mort du projet littéraire pour entrer dans le travail de rédaction commandée. Cela dit, c’est une saga, et les sagas demandent une gestion particulière. Sur un roman seul, il y aurait sûrement davantage d’espace pour ces considérations. Le mot incongru sur la 4e de couverture du tome 3 poche est arrivé là on ne sait trop comment, il n’était pas présent dans la 4e que j’avais validée. C’est une bévue comme il en arrive parfois au fil des très nombreuses manipulations que requiert la production d’un livre ^^ Réussissez-vous à avancer sur vos autres projets en même temps que Rose Morte (Bleu Nuit, Vert Écume, Mon(a)st(è)re...) ? Travailler sur plusieurs projets de front est juste impensable pour moi. Un seul d’entre eux est suffisamment chronophage et vorace en énergie/concentration/travail pour accaparer toute mon attention ! Du reste, les projets attenants à l’univers de Rose Morte (Bleu Nuit et Vert écume) sont déjà partiellement intégrés/préfigurés (sans que vous puissiez vous en apercevoir pour le moment ^^) dans le traitement des tomes de Rose Morte, puisqu’il s’agit d’un tout cohérent, s’orchestrant autour de la même chronologie d’événements. Je dois être désormais à environ 400 pages (A4) de notes sur le background et l’articulation de cet univers. Cela vous donne une petite idée de sa densité :) Vous faites beaucoup de recherches historiques pour votre récit : les époques dans lesquelles se déroulent les opus se rapprochant, cela change-t-il quelque chose à la manière dont vous effectuez ces recherches ? C’est un peu plus simple (ouf !). Plus l’on est proche de notre temps, plus la manne d’informations est fraîche et volumineuse, plus il est donc aisé de trouver celle dont l’a besoin. Toutefois, cela ne dispense pas de nombreuses heures de documentation, ni de fastidieuses recherches sur des détails que l’Histoire a eu peine à retenir mais sur lesquels mon récit demande que je m’attarde. Le degré d’intensité des recherches historiques est aussi fonction de la place que le « personnage » Histoire est amené à tenir dans le tome et ce qui doit s’y dérouler. Or, évidemment, plus la saga avance et plus le focus se trouve mit sur les intrigues du monde obscur. Pourquoi vouliez-vous que le contexte historique soit aussi présent, et pas simplement en arrière-plan ? Il est facile de prendre en compte le devoir de mémoire pour Flétrissures, mais qu'en est-il de La Floraison et de Trois Épines ? Faut-il y lire autre chose que l'envie de précision et de réalisme ? Si l’Histoire n’avait qu’une vertu ornementale, je ne me serais pas donné le mal de la mettre en scène ^^ ! Tout projet s’attachant à retranscrire la réalité historique signifie que le récit doit être resitué dans le contexte économico-social de la période évoquée (avec plus ou moins de détails), afin de situer le contexte dans lequel s’intègre le récit. Si ce point n’est pas considéré par le lecteur, si l’Histoire est vue comme un décor, alors la compréhension de la vie/réalité des personnages mis en scène est déjà à moitié estropiée. Un personnage, quel qu’il soit, est nécessairement mis en perspective par le monde dans lequel il évolue. Si ce monde est la réalité historique, cela signifie qu’il faut prendre en compte l’époque relatée afin de saisir ce qui conditionne, emprisonne, pèse, entoure, jalonne, freine, pousse, influe sur le personnage et son existence/ses décisions/ses réactions. Donc, si j’ai fait le choix d’intriquer étroitement mon univers à notre réalité, c’est qu’il y a nécessité de prendre les deux mondes dans leur globalité, de les regarder comme un tout cohérent, pour vraiment saisir le récit. Reléguer à l’arrière-plan la considération de l’un ou de l’autre monde ampute de moitié l’impact des événements, des incidences sur les personnages, des personnages eux-mêmes, des propos tenus, des réflexions développées, etc. La trame de votre histoire a-t-elle changé en cours de route ? Aujourd'hui, la saga est-elle toujours prévue en 5 tomes (vous aviez parlé d'écrire 7 tomes à quelques reprises) ? La publication prévue est toujours de 5, puisqu’il m’avait été demandé à l’époque de descendre de 7 à 5 tomes. Toutefois, je n’ai jamais condensé/repensé l’histoire pour que cela rentre en 5 tomes. Ce que j’avais fait, c’était évaluer où en serait le lecteur au bout de 5 tomes. Or, il était possible « d’arrêter » là le récit, sachant qu’il y aurait suffisamment d’éléments pour ne léser personne. J’ai donc accepté 5 tomes et m’y suis tenue… Mais il restera toujours deux volumes, qui seront ou non publiés (je n’en ai aucune idée et ne me pose pas la question), pour avoir vraiment le fin de mot de l’histoire… et le mot « fin » aussi, d’ailleurs :) ! De même, on peut suivre les enjeux de cet univers en lisant seulement la « saga mère », mais les spin-offs que je mûris apporteront un grand nombre d’éclairages utiles sur l’ensemble. L'ambiance de vos livres est mélancolique et fataliste, et ça n'a pas l'air d'aller en s'arrangeant. Est-ce un ton volontaire, ou cela suit-il nécessairement l'histoire ? La tendance va-t-elle s'inverser ? L’ambiance est pragmatique, terre à terre. Ce qui pourrait sembler paradoxal puisqu’il s’agit d’ouvrages de genre fantastique, mais la littérature gothique a toujours pris ce parti de double-réalité. C’est un postulat qui me parle, puisque le conte (plus ou moins réaliste) est depuis toujours le moyen retenu pour faire passer des idées, des valeurs. Depuis aussi longtemps que tourne le monde, les préventions diverses et les « leçons » à retenir se sont transmises par ce biais. Aussi, vu l’état des mondes que je dépeins et de ceux qui les peuplent, il y a nécessairement une part de noirceur, de découragement, etc. En pleine dernière ligne droite avant la sortie du quatrième tome, vous n'êtes pas trop stressée ? Un petit teaser pour Ikebana ? (Oui, j'y crois) C’est toujours stressant ! Surtout qu’il se glisse bien souvent des impondérables de dernières minutes, qui bousculent un peu tous les plans et nécessitent de composer avec les moyens du bord :) ! Cette fois, nous aurons dû faire face à un contretemps quant à l’illustration de couverture, qui aura nécessité le report de la date de sortie pour se voir solutionné. Mais on fait avec, ça fait partie du métier. Un teaser ? Héhé :) Eh bien… à part vous dire que vous auriez tort de ne pas lire ce quatrième tome (avec attention ^^) car question avancées, il y a de quoi faire… je ne sais pas ! Je m’en voudrais de ruiner le plaisir de la découverte, en fait. C’est ce qui retient ma langue en permanence, y compris avec ma moitié ; lequel a beau être mon premier lecteur, il n’en sait pas plus que vous tous ^^’ C’est dire ! Voulez-vous rajoutez quelque chose ? Rien, hormis : merci à vous d’avoir sollicité cette interview et à merci à tous ceux qui auront la patience de la lire ^^ ! 11 questions auxquelles Céline Landressie a eu la gentillesse de réponse, j'espère que les sujets choisis vous auront intéressés. J'ai essayé de ne pas faire trop de redite avec les autres entretiens trouvables sur internet (et il y en a quelques uns).
Sur ce, j'encourage une nouvelle fois quiconque ne s'est jamais plongé dans la saga Rose Morte de lui laisser sa chance :)
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