La trilogie des Magiciens de Lev Grossman a nettement moins de succès que la série qui en a découlé. La faute à un récit qui s'étire sur plusieurs années, sans jamais vraiment s'arrêter sur une période précise, et à des protagonistes assez...particuliers. Mais en ce qui me concerne, le charme a fantastiquement opéré. Commençons par ce qui a fâché bon nombre de lecteurs : les héros. Il faut reconnaître que dans la catégorie jeunes cons de 20 ans, ils sont en bonne place. Quentin, le personnage que l'on suit (la narration est à la troisième personne) est égoïste, de mauvaise foi, ne se remet pas en question, à une forte tendance à (mal) juger ses petits camarades, est feignant, blasé. Un vrai bonheur. Aucun des personnages n'est vraiment recommandable. Alice, la petite génie de l'école, a des moments de grande suffisance, Eliot ne sait tellement pas se gérer qu'il se tourne vers l'alcoolisme au fil des pages, Penny est complètement auto-centré, Janet ressemble furieusement à Quentin mais version féminine. Même les figures plus adultes du roman partent en cacahuètes. Mais ce qui m'a permis d'apprécier ces têtes à claques, c'est que le narrateur maintient tout de même une certaine distance avec ses protagonistes : certes, on souffre avec eux, on comprend leur peine, mais le lecteur n'est pas non plus complètement à leurs côtés, et visualise très bien quand Quentin fait une connerie (spoiler alert, ça arrive fréquemment). Cette vision "au-dessus" m'a permit d'être plus dans la bienveillance que dans le jugement vis-à-vis des personnages, et de mieux analyser leurs comportements si humains (et stupides). Tu passes d’un truc à l’autre en croyant que ça va t’apporter le bonheur, et ça rate toujours. Ces personnages, j'ai adoré les suivre. Et s'il est vrai que le rythme du roman prend de court, cela ne m'a pas empêché de savourer ma lecture. Concrètement, l'histoire commence avec Quentin, lycéen en dernière année, surdoué, qui se prépare sans grande conviction à passer ses entretiens pour rentrer dans les meilleures universités du pays. Il s'ennuie, n'aime pas beaucoup sa vie, et préfère se réfugier dans sa série de roman préférée, Les Chroniques de Fillory (un pendant de notre Monde de Narnia). Il va finalement décrocher son ticket d'entrée pour Brakebills, l'école de magie nord-américaine. Mais malgré ses espoirs, cela ne marque pas le début d'une nouvelle vie autrement plus trépidante que l'ancienne. Apprendre la magie, c'est long, compliqué, et très ennuyant. Tellement ennuyant que l'auteur prend à peine le temps de fournir des explications : le cursus de Quentin ne dure que 200-300 pages (pour condenser 4 ans....on est loin des 7 années en 7 tomes de Harry Potter). Une fois leurs études terminées, Quentin et ses amis sont lâchés dans la nature, avec des pouvoirs hors-normes, mais sans but, sans objectif. Et si les aventures viennent miraculeusement à leur rencontre, la noirceur qui flotte au-dessus d'eux n'est pas prête de s'éloigner. Il n’y avait donc pas de charme pour le bonheur ? Quelqu’un en avait forcément inventé un. Alors oui, c'est un rythme particulier, et je mentirais si je ne disais pas qu'il y a quelques longueurs. Mais le texte est aussi peuplé de passages plus introspectifs absolument magiques qui redonnent perpétuellement de l'élan à l'histoire (ça, et les conneries de Quentin, oui). Il faut dire aussi que la découverte de l'univers de Brakebills n'est pas particulièrement original, le roman est globalement très inspiré de Harry Potter et du Monde de Narnia. S'il propose quelques nouvelles idées, la création du monde n'est clairement pas son point fort. Non, le vrai point fort, complètement porté par les personnages, c'est l'atmosphère du roman (j'ai l'impression de toujours dire ça...). L'ambiance est noire, morbide, franchement étrange par moment (la scène avec les oies, mais franchement, d'où est-ce que ça sort ?), emplie de fatalité. Tout l'ennui (et la dépression, n'ayons pas peur des mots) ressenti par les protagonistes suinte à travers les pages. Les rares moments de grande joie ne sont là que pour mieux mettre en valeur la chape d’apathie et de ridicule qui revient s'abattre sur eux. Et personnellement, j'ai trouvé ça très beau (c’est mon côté maso). Les voir se débattre, avoir de l'espoir, essayer de voir le meilleur, pour mieux retomber. Le roman est peuplé de perles sur le sujet, et j'ai hâte de me plonger dans les deux prochaines tomes pour voir comment la suite est gérée. Arrête de chercher la porte secrète qui te conduira à la vraie vie. Arrête d’attendre. La vraie vie, c’est celle-ci : il n’y en a pas d’autre. Elle est ici et maintenant, et tu ferais bien de l’accepter et de l’aimer, car sinon, où que tu ailles, tu seras misérable pendant le restant de tes jours. A lire si : - vous aimez Harry Potter, mais que vous ne le mettez pas non plus sur un piédestal (sinon, vous risquez d'être pris de court par les ressemblances apparentes) - vous avez envie de "plus" qu'une lecture purement détente - vous avez aimé Guerre et Paix (en terme de rythme et de traitement des personnages, j'ai trouvé que c'était la même chose) - vous n'êtes pas effrayé par les personnages imparfaits (pour être polie)
2 Commentaires
11/24/2017 11:45:24 am
10 mois plus tard, je réponds (et même avec des excuses, je n'avais absolument pas vu ton commentaire :x).
Réponse
Laisser une réponse. |